À la lisière de l'Océan Atlantique et de la Mer Méditerranée, un peuple accompagné par ses rivages s'adonne à s'élever (du latin educere, signifiant « s’élever ». Ici, cette traduction est utilisée pour désigner les deux sens : religieux et pédagogique).
Le Maroc, comblé par une culture riche de partages, a toujours su enrichir la gestion de sa cité au sens aristotélicien. Si, dans le Coran, la civilisation musulmane se veut celle de l’éducation à la médianité, la voie du juste milieu, et qu’en somme pour l’Islam, l’éducation réussie est celle qui forme un citoyen équilibré, compétent et vertueux1. Alors, ce royaume musulman prête en effet une place significative à l'éducation de ses enfants. Cet intérêt politique s’inscrit aujourd’hui dans la dynamique à reconnaître que l’éducation détermine la qualité des citoyens, le niveau de développement et le projet de société1.
Ce lien ainsi mis en exergue, il apparaît très vite après son indépendance en 1956 que le Maroc commence prioritairement à se mobiliser pour son éducation afin de répondre aux défis majeurs auxquels elle doit faire face. Ainsi, le Maroc a depuis 60 ans significativement augmenté son taux de scolarisation ; passé de 30 % en 1960 à 99 % en 2019, ce chiffre marque une expansion majeure de l'accès à l'éducation à la fois dans les zones urbaines et rurales.
Par ailleurs, l’éducation marocaine fait face à un dilemme entre quantité et qualité. Malgré l’amélioration de l’accès à l’éducation, le taux d'analphabétisme, de 87 % en 1960, demeure néanmoins de 32 % aujourd'hui. Cependant cette réduction n’a pas nécessairement été accompagnée par une amélioration de la qualité des enseignements, en particulier dans les zones rurales et les quartiers défavorisés2 comme témoigne la création d’ONG spécialisées dans la réponse à ce problème de défavorisation, à l’image de l’association Darna (« notre maison » en darija) à Tanger. Cette dernière s’occupe de réinsérer des jeunes dits « NEET » (ni en formation, ni en emploi, ni à l'école) sortie de leur trajectoire académique dans le monde du travail ; une conséquence directe de ce manque d’accompagnement3.
C’est plus tard, vers 2000, que le Maroc s’engage réellement sur le souffle moderne. Dans le sens de ce courant, les premières grandes réformes du système éducatif marocain apparaissent avec la Charte Nationale d’Éducation et de Formation en octobre 1999. Celle-ci commence par affirmer la liaison entre éducation et Islam en affirmant que « le système éducatif du Royaume du Maroc se fonde sur les principes et les valeurs de la foi islamique »4. Cette Charte, pilier de la transformation du système éducatif marocain, met l'accent sur l'amélioration des résultats d'apprentissage en adaptant progressivement l'enseignement aux besoins du marché du travail et à la modernisation5. Mis en œuvre par le programme G.E.N.I.E (Généralisation des Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement au Maroc), lancé en 2005, ce projet vise à intégrer les TICE (Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement) dans l'enseignement des mathématiques6 - 7. Il prévoit notamment l'équipement des écoles en salles multimédia et la formation des enseignants pour préparer les élèves aux exigences technologiques actuelles.
En parallèle, cette Charte visait à transformer le système éducatif marocain autour de quatre objectifs majeurs : la marocanisation, l’arabisation, l’unification et la généralisation de l'enseignement. Ainsi, la pédagogie marocaine vacille entre modernité et tradition dans sa liaison à l’Islam et sa recherche de progrès. En ceci cette réforme va s’inscrire dans un long processus de réformation, celui dont traite le présent article, concerné par des enjeux, des résultats ainsi que des perspectives d’amélioration.
Dès lors, l’évolution des politiques éducatives marocaines est en essor dans un contexte éducatif mondialisé ; en 2002, le Maroc adopte l'approche du système modulaire et semestrielle pour le secondaire, inspiré du modèle européen L.M.D (Licence-Master-Doctorat), visant à offrir une plus grande flexibilité et un meilleur alignement avec les standards internationaux8.
Ensuite, le Programme d'Urgence 2009-2012, en complément de la Charte de 1999, canalise d'importants investissements pour résoudre des problématiques structurelles comme l'infrastructure des établissements, la formation des enseignants et le taux élevé de décrochage scolaire. Malgré les financements alloués, certains objectifs de cette initiative restent à atteindre, soulignant les défis de mise en œuvre dans un contexte institutionnel et bureaucratique complexe9. Par exemple, le programme Tayssir investi dans les familles démunies en subventionnant les frais de scolarité pour encourager la poursuite des études10.
Sur ces entrefaites, une nouvelle réforme semble venir chapeauter ce souffle politique innovateur : la Vision 2015-2030. Celle-ci se veut la panacée de l’éducation marocaine, souhaitant résoudre les défis liés à l’accès et à l’équité avec notamment l’appui de la scolarisation des filles, la qualité de l’enseignement avec notamment la formation continue des enseignants et l’appui de l’enseignement des mathématiques, le développement humain et l’adéquation au marché du travail avec notamment l’appui de l’apprentissage de l’anglais. En effet, cette vision répondrait idéalement à tous les problèmes majeurs persistants face aux politiques éducatives marocaines.
Cependant, des problèmes demeurent.
D’abord, bien que les élèves marocains soient la première nationalité étrangère parmi les élèves de la prestigieuse École Polytechnique (30%), il apparaît, au contraire, que les performances des élèves marocains en mathématiques et en sciences figurent parmi les plus faibles dans les enquêtes internationales telle que T.I.M.S.S (Trends in International Mathematics and Science Study) de 2015 ou P.I.S.A (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de la même année. Pour la T.I.M.S.S, les résultats indiquent une maîtrise insuffisante des compétences de base, avec une moyenne de 376 points en mathématiques et 390 en sciences pour une moyenne de 500 points11. Ainsi, on pourrait en déduire que les cours de mathématiques de niveau élevé ne sont réservés qu’à une minorité de la population étudiante accédant aux meilleures classes prépas ; souvent issues des Lycées Français où se concentrent les 10 % des enseignants marocains possédant un diplôme de niveau master, en contraste avec les 42 % enregistrés dans les pays de l'O.C.D.E (Organisation de coopération et de développement économiques)12.
Ensuite, quant aux langues, l’arabisation combinée à une marocanisation insuffisamment préparée, a affaibli le système éducatif marocain13 dans les années 1960-1970. Ainsi, le Maroc avait décidé que la réintroduction progressive de la langue française dans les matières scientifiques pourrait aider à résoudre les disparités linguistiques et répondre aux exigences économiques modernes14. Pourtant ce modèle bilingue s’avère aujourd’hui insuffisant pour répondre aux exigences d’un monde multilingue15. C’est en effet au tour de l’anglais d’être assimilé dans les programmes. Par exemple, la jeune population se tourne de plus en plus vers la musique anglaise là où la génération précédente y préférait les chansons françaises. À Tanger notamment, si l’influence des rappeurs espagnols est prépondérante, les rappeurs anglais prennent petit à petit le dessus ; un miroir des volontés populaires où les politiques éducatives se retrouvent en quinconce avec le Français, l’arabe, l’espagnol et l’anglais. Pourtant, si la Vision 2015-2030 promeut une approche adaptée à ce contexte, l'impact de cette initiative reste modéré, en raison de la faible maîtrise des langues étrangères chez les élèves16.
Entre autres, une dernière solution pourrait répondre à ces objectifs de réformes: l'Éducation Artistique et Culturelle (E.A.C). En effet, les résultats de précédentes recherches, notamment soutenues dans les articles de la Charte pour l'éducation artistique et culturelle du Haut Conseil de l’E.A.C17, ont démontré que l’E.A.C avait un grande puissance éducative, permettant de développer la citoyenneté (le vivre ensemble) et la singularité (la sensibilité) des élèves les amenant ainsi à leurs donner le goût de l’apprentissage.
Si le but de l’éducation comme présent dans l’Islam est d’obtenir une construction sociale commune dans la réalisation du projet de société, alors l’intervention d’une pédagogie ludique autour de l’art est primordiale afin d’impulser un souffle créateur vers une société dont les individus sont bâtisseurs de leur futur commun pour une construction de la paix. Cette importance de l’E.A.C a récemment été partiellement comprise par le Maroc où il accorde une petite place à la pédagogie parascolaire dans sa dernière réforme : la Feuille de route 2022-2026.
Intégrée dans le processus de réformation éducative marocain, la Feuille de route 2022-2026 se reconcentre sur des objectifs prioritaires et apporte ainsi le caractère innovateur attendu dans la Vision 2015-2030. La plus récente réforme souhaite notamment réduire le décrochage scolaire d’un tiers, renforcer la maîtrise des compétences de base, et favoriser l’épanouissement des élèves par des activités extrascolaires et civiques, soulignant ainsi l'importance de l’E.A.C.
Aujourd’hui, bien que le Maroc consacre environ 21,2% de son budget national à l’éducation, avec des dépenses atteignant 92,53 milliards de dirhams en 202418, des disparités et faiblesses persistent. Pourtant, s’il est facile de douter de la capacité du Maroc à relever les défis qui s’opposent à ses politiques éducatives, il serait bien plus utile de s’engager dans la construction de nouvelles réformes plus empiriques, au fait des réalités du terrain éducatif marocain. Et notamment, de réfléchir à comment y faire face par l’intervention de l’E.A.C dans les programmes scolaires marocains. Ainsi montrer que cette puissance éducative que partagent l’art et la culture dans l’éducation peut agir en panacée sur tous les terrains. En ce sens, la question du sujet s’ouvre à l’ensemble des politiques éducatives, dans la mesure du projet de leurs insuffler une nouvelle pédagogie autour de l’art, dont la puissance serait ici démontrée, avec le possible exemple d’un prodrome marocain.
Sources
Cherif Mustapha, Education et Islam, Fondation pour l’innovation politique fondapol.org, Mars 2015 : https://www.fondapol.org/etude/mustapha-cherif-education-et-islam-septieme-note-de-notre-serie-valeurs-dislam/
Youssef Nait Belaid, Acteurs, système d’action et stratégie du système éducatif au Maroc, Colloque international en éducation : enjeux actuels et futurs de la formation et de la profession enseignante, 29 et 30 avril 2021, CRIPFE : https://youtu.be/02pikGswq70?si=XjF0GtjnFIU6D9dU
Voir le site de Darna: https://associationdarna.ma/ , un précédent article sur mon action humanitaire dans cette association pour le journal adressé aux 7-12 ans « PARLE » de l’Académie Internationale des Droits De l’Enfant : https://kdrive.infomaniak.com/app/share/525909/275ac34c-fd8f-42fc-b3ab-e725100e36cc/preview/pdf/5279
Royaume du Maroc, Commission Spéciale Education Formation, Charte nationale D’éducation et de formation, Octobre 1999 : https://www.mcinet.gov.ma/sites/default/files/documentation%20iscae%20rabat%202018.pdf
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« Maroc: Modernisation de l’Éducation par le Digital – Perspectives 2024. » YouTube, publié par [Medi1TV Afrique] : https://youtu.be/LFfUypaEWfQ?si=hTvLe_ERL1Zotb2N
Mr le ministre Abdellatif Miraoui, dévoile stratégie éducative 2024 Maroc. » Digitalization and Educational Reform in Morocco. YouTube, publié par [L’Economiste] : https://youtu.be/5TIEiXPjcm8?si=9Mgp042rkr010508
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Akesbi, Azeddine. « Politique et Réforme Éducatives au Maroc: Réalisations Introuvables! » Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales (RMSPS), 2024.