Le trafic de drogue au Maroc
et la marginalisation du Rif
et la marginalisation du Rif
Le cannabis a occupé une place particulière dans l’histoire du Maroc, et ce depuis le Moyen Âge. Son rôle spirituel était très apprécié dans certains cultes spirituels soufis avant de s’introduire au sein des coutumes locales, son développement dans le Rif ayant été favorisé par le climat avantageux. C’est pendant la période du protectorat que la production de cannabis s’est intensifiée, le Maroc devenant un élément central dans le trafic de drogue européen.
Aujourd’hui, le Maroc est le premier producteur mondial de cannabis. Il en comptabilise en effet 135 000 hectares de culture et une production de 3000 tonnes de haschich chaque année. C’est notamment pour cette raison que 90% du haschich consommé en Espagne et en Hollande provient du royaume, cela permettant la création de nouvelles routes dans le trafic de drogue incluant des drogues dures en leur sein.1 Par ailleurs, l’usage du cannabis est aujourd’hui légalisé à des fins médicales. C’est donc dans ce contexte que les effets sur les populations marginalisées se font ressentir, cette production massive impactant les populations locales sur plusieurs aspects, qu’ils soient économiques, politiques ou sociaux.
I. Conséquences Économiques : une dépendance qui renforce la précarité
Pour de nombreuses familles du Rif, le cannabis est devenu la principale, voire l’unique, source de revenu. Selon l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), près de 96 600 familles marocaines dépendaient de cette culture en 2004. Cette situation persiste, car les cultures alternatives sont peu encouragées et les perspectives d'emploi dans ces régions montagneuses restent limitées. Le cannabis permettrait un revenu annuel moyen de 2 000 à 4 000 dollars par famille, mais les petits producteurs reçoivent peu de bénéfices réels, la majorité des gains étant captés par les réseaux de trafic lors des différentes étapes d'acheminement. La production de 100 kilogrammes de cannabis permet de créer 7 kilogrammes de résine. De ce fait, le prix se voit également multiplié lors de la vente de cette résine. 2
Cette dépendance économique empêche l’intégration de l’économie locale dans le secteur formel et limite la diversification des revenus. Par manque de perspectives d’emploi formel et d’initiatives économiques alternatives, les communautés se retrouvent contraintes de faire perdurer des pratiques pourtant perçues comme illicites et interdites. La Banque Mondiale a estimé que, sans investissements soutenus dans le développement économique et les infrastructures, près de 60 % des jeunes de ces régions risquent de rester en dehors du marché du travail formel, compromettant ainsi la stabilité économique locale. L’exclusion du marché du travail est un facteur majeur dans le maintien des trafics de drogue ainsi que dans sa production. Cette absence de diversification rend aussi les producteurs vulnérables aux aléas des marchés illégaux, renforçant la précarité des communautés rurales.
II. Conséquences sociales : stigmatisation et isolement des populations
Les conséquences des trafics de drogue sur les populations marginalisées au Maroc sont avant tout sociales. Les populations des régions productrices de cannabis subissent une stigmatisation croissante en raison de leur lien avec cette activité illégale, ce qui les isole socialement et limite leur accès aux programmes de développement. Une étude de l’Observatoire National du Développement Humain (ONDH) de 2019 montre que plus de 70 % des habitants du Rif déclarent se sentir discriminés par le reste de la société marocaine en raison de leur activité. Cette stigmatisation entraîne une restriction dans leur possibilité d’intégration dans d’autres secteurs économiques et les contraint à reproduire le cycle de cultivateurs exercé dans la région.
Cette marginalisation sociale des communautés se reflète également dans l’accès restreint aux services publics essentiels comme la santé, l’éducation, et les infrastructures de base (routes, eau potable, électricité). L’ONDH a rapporté en 2021 que les infrastructures dans les régions de production du Rif sont parmi les plus déficientes du pays, freinant leur développement économique et social. Ce manque d’accès aux services renforce la pauvreté et les inégalités, créant un cercle vicieux où les populations locales sont contraintes de rester dans le secteur illégal par manque d’alternatives viables, le développement n’étant pas aisément accessible pour certaines familles ; il est donc plus sécurisant de faire perdurer la culture de cannabis qui rapporte un faible revenu plutôt que de prendre le risque d’en sortir sans perspective d’alternatives.
La jeunesse, particulièrement exposée au trafic en raison du manque d'opportunités éducatives et professionnelles, est souvent impliquée dans le commerce illégal. Selon l'ONDH, environ 80 % des jeunes dans ces zones rurales n'ont pas accès à l'éducation ni à des emplois formels, les poussant vers le trafic comme seule option économique. Ce choix expose les jeunes à des risques accrus pour leur santé mentale (stress, addiction) et physique (violence liée au trafic). Une étude du Centre Marocain des Études Stratégiques (CMES) a noté une hausse de 35 % des incidents violents dans le Rif liés au trafic de drogue, créant un climat d'insécurité dans les communautés et limitant les perspectives de croissance sociale pour les jeunes. Cette insécurité dissuade les investisseurs d'initier des projets économiques dans ces régions, ce qui aggrave l'isolement et la pauvreté de ces communautés. La Banque Mondiale estime que, sans investissements adéquats dans les infrastructures et les opportunités d’emploi, près de 60 % des jeunes dans ces régions risquent de rester en dehors du marché de travail formel. Ce cycle de violence et d'absence de perspectives condamne ainsi de nombreux jeunes à une précarité persistante et empêche leur intégration dans une économie légale.
III. Conséquences politiques : gouvernance fragilisée et corruption
Par ailleurs, le trafic de drogue contribue à la corruption au sein des forces de l'ordre et des institutions locales, sapant ainsi la confiance des citoyens dans les autorités. Les trafiquants cherchent à éviter les poursuites en corrompant les fonctionnaires locaux, ce qui nuit à l'efficacité de la gouvernance et freine les initiatives de développement économique. Transparency Maroc indique qu’environ 40 % des habitants des zones productrices estiment que la corruption est omniprésente, créant un climat de méfiance et une fragilisation des structures de gouvernance dans ces régions. Ce climat s’ajoute à toutes les stigmatisations déjà présentes et renforce l’exclusion en nourrissant la méfiance, la peur et la misère.
De plus, les populations locales, confrontées à la stigmatisation et au manque de soutien des institutions, sont souvent exclues des politiques nationales de développement. Les tentatives de réformes pour encadrer la production de cannabis à usage médical, autorisée par le Maroc en 2022, sont perçues comme insuffisantes par les communautés locales, qui voient peu d’efforts pour les intégrer dans une économie formelle et légale. Cette exclusion aggrave les disparités entre les régions productrices et le reste du pays, limitant les opportunités de développement économique et social pour les populations locales.
Conclusion
Le trafic de drogue au Maroc, s'il permet un revenu temporaire pour les communautés marginalisées, engendre également des effets complexes et néfastes à long terme. La dépendance économique au cannabis, la stigmatisation sociale, les impacts sur la santé publique et la corruption politique créent de manière intrinsèque un environnement de précarité et d'isolement pour ces populations. Ces dernières étant donc les premières impactées par les changements politiques vis-à-vis de la place du cannabis au Maroc, la question se pose de l’évolution de l’attitude à la fois de la société civile et du royaume quant à l’encadrement de la culture et de la consommation du cannabis et plus largement, de l’urgente aide à apporter aux régions du Rif.
Sources
Bibliographie générale du no 34 : Le Nord du Maroc. Intégration, inégalités et résistances », Les Cahiers d’EMAM, 2022/34.
« Maroc: quand la Khardala et les hybrides bouleversent le Rif ». vih.org, https://vih.org/drogues-et-rdr/20171006/maroc-quand-la-khardala-et-les-hybrides-bouleversent-le-rif/